Visite de terrain auprès de la FUCVAM, ENFORMA, Area de Género et visites de coopératives d’habitation

En février 2025, Léa Oswald, notre chargée de projets, et Alessia Marcon, stagiaire, se sont rendues à Montevideo pour une visite de terrain auprès de la FUCVAM (Fédération uruguayenne des coopératives d’habitation par aide mutuelle), partenaire d’urbaMonde depuis 2016. Tout au long de leur mission, elles ont participé à de nombreuses réunions et échanges, suivi les activités menées par l’École nationale de formation (ENFORMA) et l’Area de Género, et visité plusieurs coopératives d’habitation.

Le projet avec FUCVAM : un modèle solidaire face à la crise du logement

Dans un contexte mondial où le droit au logement est mis en discussion, le modèle coopératif CVAM – basé sur l’aide mutuelle, la propriété collective, la démocratie directe et l’autogestion – se distingue par sa capacité à créer de la solidarité tout en répondant au besoin de logement. L’évolution du mouvement coopératif en Uruguay révèle que la formation continue est un levier fondamental pour le développement durable des coopératives. Ce partenariat, engagé depuis près de dix ans, entre dans une troisième phase, visant un double objectif : consolider la formation interne des coopératives selon le modèle CVAM et soutenir des actions concrètes en faveur des droits des femmes et de l’égalité de genre. Les principaux axes de travail sont l’autonomisation d’ENFORMA et le renforcement du pouvoir d’agir des femmes, notamment à travers le soutien apporté à la Commission de genre (des instances internes à FUCVAM).

L’École Nationale de Formation (ENFORMA) : une réflexion continue

L’approche d’ENFORMA, fondée sur l’éducation populaire, se distingue par sa volonté de co-construire les savoirs et de développer une conscience collective parmi les membres des coopératives. À travers ses activités pédagogiques, ENFORMA permet d’approfondir la compréhension des enjeux coopératifs, tout en positionnant l’école comme une référence pour renforcer le pouvoir d’agir des coopérateurs.ices et leur formation.

Silvina, membre de l’École, témoigne : “Une fois qu’on s’implique, on ne peut plus s’en passer. Au début, on absorbe surtout les aspects techniques – l’assemblée, le conseil, le fonctionnement – mais petit à petit, on comprend qu’on porte une idéologie. C’est un processus qui se construit dans le faire, dans l’échange, dans les liens. Chaque atelier est une opportunité, chaque fois on en retire quelque chose.”

La méthode de travail d’ENFORMA repose sur l’habitude de réfléchir collectivement à la pratique quotidienne. Il ne s’agit pas seulement d’un processus d’amélioration continue, mais aussi d’un moyen de déconstruire les comportements et réflexes anti-coopératifs, afin de mieux les comprendre et de mieux y répondre. Plus qu’un lieu de transmission, ENFORMA se veut un espace de transformation sociale, au service de toutes celles et ceux qui construisent des alternatives concrètes au quotidien.

Maxi, qui a suivi les ateliers de l’école, décrit ainsi l’impact : "L’école n’est pas une baguette magique, mais elle agit comme un pont : elle ouvre un espace pour reconnaître ce qui traverse toutes les coopératives : les tensions, les conflits, mais aussi les apprentissages. Ce sont des outils qui nous permettent d’aborder non seulement les structures, mais surtout les idées, les fondements profonds du modèle coopératif. Parce que sans travail conceptuel, il n’y a pas de véritable structure. C’est un chemin que nous construisons ensemble, pas à pas."

Le plus difficile, c’est de trouver des personnes prêtes à s’engager pleinement : on court tous après le temps, et dans le rythme effréné du quotidien, ce n’est pas évident de faire de la place à un engagement collectif. Il faut aussi avoir envie de donner la priorité à ce type de processus – ce qui ne va pas toujours de soi dans la société d’aujourd’hui.

La Commission de Genre : un espace d’ engagement et soin

En reconnaissant que le développement des propositions de solidarité, d’équité, d’égalité et d’horizontalité au sein des coopératives est fortement impacté par les inégalités de genre, la Commission de genre de FUCVAM s’engage activement pour aborder ces problématiques. Les principaux axes de travail incluent : la violence sexiste et ses causes structurelles, la représentation et la participation des femmes dans les espaces politiques, les femmes impliquées dans la construction de leurs coopératives, les luttes féministes à travers l’histoire, le droit à la ville sous une perspective féministe, l’urbanisme et l’économie féministes, etc.

C’est une force collective impressionnante : des espaces de formation, d’entraide, de prévention, mais aussi des projets concrets pour lutter contre les violences et porter une autre vision du vivre ensemble. Les travails de la Commission de genre incluent le plaidoyer politique pour améliorer les cadres juridiques et faire reconnaître l’égalité des droits entre hommes et femmes (voir les efforts vers la loi de cotitularité), la formation et la sensibilisation des membres des coopératives sur les questions de genre liées aux inégalités de genre, sur des services de soutien psychosocial aux femmes membres des coopératives en situation de violence domestique, et l’autonomisation des femmes coopérativistes.

Comme l’explique Analia, qui fait partie de l’Área de género depuis plusieurs années : “La Commission est née en 2015, d’abord sous la forme d’une commission de développement, pour répondre à des problématiques concrètes rencontrées pendant la phase de construction des coopératives – la répartition des tâches, le rôle des femmes, les conflits. Peu à peu, l’espace s’est élargi, de plus en plus de compañeras s’y sont impliquées, et c’est devenu une lutte collective pour faire valoir nos droits. Il fallait absolument créer cet espace, parce que ce qui se reproduit à l’intérieur des coopératives, ce sont les mêmes inégalités que celles qu’on vit dans la société. À FUCVAM, cette perspective manquait. Aujourd’hui, elle est devenue essentielle pour penser une organisation réellement équitable, qui reconnaît les violences et les surcharges et cherche à les transformer.”

Lucia, compañera engagée au sein de l’Area de Género, souligne "C’est essentiel de construire des coopératives qui n’acceptent aucune forme de violence. On avance ensemble, entre femmes, mais aussi avec les hommes. C’est un travail quotidien et transversal."

En regardant ces dernières années de l’Area, on observe que peu à peu, même les hommes s’impliquent dans les ateliers de sensibilisation. Parce que pour faire évoluer les choses, il faut d’abord en parler, tous.tes ensemble. Cette lutte pour l’égalité ne peut être que collective, partagée, et profondément mixte.

Manifestation du 8 mars 2025 portée par l’Area de Género de la FUCVAM

Les visites des coopératives

Au cours de la mission de terrain, les visites aux nombreuses coopératives disséminées sur le territoire municipal de Montevideo n’ont pas manqué. Bien que les coopératives soient également très présentes dans les zones plus intérieures, cette mission s’est principalement concentrée sur celles situées dans les quartiers plus urbains. Deux visites en particulier ont marqué ce parcours : El Hormiguero et Basquadé.

Dans le cas de la coopérative El Hormiguero, lors de la précédente mission de terrain de notre chargée de projet, le chantier était encore en cours ; cette fois, il a été possible de constater les résultats finaux : des logements terminés, habités, vivants. Voir l’œuvre achevée donne tout son sens au processus, en permettant de mesurer concrètement l’impact du travail accompli.

Coopérative El Hormiguero

Quant à la coopérative Basquadé, la rencontre avec les membres en pleine phase de construction a été particulièrement forte. Ces échanges ont permis de ressentir toute la force de leur engagement collectif. Rencontrer les coopérateurs·ices qui construisent leur maison de leurs propres mains, et qui perçoivent enfin à l’horizon proche la fin d’un long processus, est profondément inspirant. Leur détermination collective illustre puissamment la portée sociale et humaine du projet.

Pour conclure, les missions de terrain permettent de renforcer les liens avec les partenaires, d’observer concrètement ce qui se réalise à distance, et soulignent encore davantage l’importance de continuer à soutenir les projets et à collaborer avec des expériences diverses, en promouvant l’échange et la diffusion des savoirs. À travers les visites des coopératives sur le territoire de Montevideo, nous avons vu combien le travail collectif, quotidien et enraciné dans les espaces de vie, est essentiel pour faire vivre un autre modèle d’habitat. Ces rencontres nous rappellent que les alternatives ne se décrètent pas : elles se construisent, jour après jour, avec patience, conviction et solidarité. C’est bien à partir des lieux que l’on habite que peut commencer le changement. Et c’est là, dans le concret des luttes coopératives, que se dessine un monde plus juste et solidaire.

Alessia Marcon

Fiche technique